Traduire un roman requiert finesse, expertise rédactionnelle et respect du style de l’auteur. Stéphanie Dujols est traductrice de littérature arabe. Pour Bookapax, elle a accepté de revenir sur son métier et son parcours. Entretien.
Stéphanie Dujols : J’ai vécu plusieurs années en Tunisie quand j’étais enfant. C’est là-bas que j’ai commencé à apprendre l’arabe. Puis je suis partie ailleurs, j’ai oublié la langue, mais quand je suis retournée en France, après avoir entamé des études littéraires, j’ai eu envie de réapprendre l’arabe. Quant à la traduction, j’y suis venue par un chemin un peu détourné. Au départ, je m’intéressais plutôt à la traduction du français vers l’arabe, et pas en tant que praticienne, mais en tant qu’observatrice. J’avais rédigé un mémoire de Maîtrise où je tentais une analyse comparative des traductions arabes des Illuminations de Rimbaud. Je me penchais sur des questions de syntaxe, de dynamiques temporelles et narratives. Ce qui m’attirait en ce temps-là, c’était l’intraduisible : les endroits où ça achoppe, ça résiste. Un temps, j’ai songé approfondir la réflexion dans une thèse de doctorat. Je voulais réunir des poètes et des critiques arabes rimbaldiens et leur proposer de réfléchir à un “essai” de traduction collective des Illuminations. J’imaginais un grand atelier expérimental où j’aurais servi de “regard extérieur” et que j’aurais nourri de ma relation au texte et de ma familiarité avec son exégèse. Et puis un jour, j’ai eu vent d’une bourse proposée au Caire par Richard Jacquemond pour étudier la traduction littéraire sous sa houlette. C’est comme ça que j’ai abandonné mon “projet” rimbaldien et que je suis devenue traductrice de littérature arabe.
Stéphanie Dujols : J’ai tout de suite senti que c’était un texte charnière, à la fois pour la littérature en tant que telle, et pour la mémoire.
Stéphanie Dujols : J’ai traduit Un détail mineur en 2019-2020, mes souvenirs ne sont plus très précis, mais je me rappelle avoir eu l’impression de traduire une chorégraphie. C’était à la fois très exigeant et très stimulant, cette façon si minutieuse qu’a Adania Shibli de noter le mouvement – même, et d’autant plus, lorsque celui-ci est empêché. Impression aussi de ne pas traduire des mots mais de la matière vivante, organique, sensorielle, une écriture qui frissonne sous la peau.
Stéphanie Dujols : La traduction française est passée quasiment inaperçue à sa sortie en 2020, le jour même où, pendant la crise du COVID, les librairies ont dû fermer en France. Il est certain que cela n’a pas aidé le livre. Mais il m’a semblé aussi qu’il a été ignoré par un certain nombre de médias qui d’habitude consacrent quelque place à la littérature arabe traduite. Ce texte me tenant particulièrement à cœur, j’avoue avoir été déçue qu’il tombe ainsi aux oubliettes. Le voir ressurgir trois ans plus tard “à la faveur” d’un odieux acte de censure et de ce génocide inouï perpétré contre Gaza, m’a d’abord inspiré un sentiment de malaise et d’amertume. Mais les semaines passant, ce sentiment s’est transformé en une sorte de réconfort. Ce qui se passe dans le monde autour d’Un détail mineur, notamment dans les pays du Maghreb, est très émouvant. À la fois parce que cela révèle un vaste mouvement de solidarité citoyenne avec la Palestine, et parce que les lecteurs semblent sincèrement aimer ce roman et être saisis par son écriture. Plus largement, on constate un intérêt sans précédent pour la littérature palestinienne et une envie de la découvrir sans a priori, dans sa pluralité.
Avez-vous traduit d’autres romans d’auteur.ice.s palestinien.ne.s ? Si oui, lesquels conseillez-vous ?
Stéphanie Dujols : J’ai traduit le premier roman d’Adania Shibli (Reflets sur un mur blanc, Actes Sud, 2004), un recueil de nouvelles de Mahmoud Shukair (Ma cousine Condoleezza, Actes Sud, 2008) et deux romans d’Akram Mousallam (L’histoire du scorpion qui ruisselait de sueur et La cigogne, Actes Sud, 2010 et 2015). Je conseillerais aussi des textes de non-fiction : Je serai parmi les amandiers du regretté Hussein Barghouti (dans une très belle traduction de Marianne Weiss, Actes Sud, 2008) ; et en anglais : Palestinian walks : Forays into a vanishing landscape, de Raja Shehadeh (Scribner, 2008) et The drone eats with me, puissant et subtil journal écrit par Atef Abu Seif durant la guerre de 2014 contre la bande de Gaza (Beacon Press, 2016).
Un détail mineur est un roman de Adania Shibli paru en 2020 chez Actes Sud.
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